Une taverne comme dans tant d'autres mondes : meublée de bois, aux tables et chaises occupées par une foule de gars bourrés... Un propriétaire riche en muscle et en charisme, qui surveille le tout, une choppe propre et un chiffon à la main. Un éclairage tamisé à la lueur des bougies, et un air saturé d'alcool et de vomi.
Un lieu commun malgré tout apprécié des habitants, des voyageurs comme des rongeurs où il est coutume de discuter autour d'une bière tiède.

Assise dans son coin, elle se gratta le crâne du bout de l'ongle, l'autre main soulevant sa perruque. On ne la regardait plus depuis un moment : Freyja était devenue une habituée, pour ne pas dire un élément du décor de cette taverne miteuse. Un caméléon. Enfin, une araignée plutôt. Elle dégagea ses longs cheveux tblancs par-dessus son épaule, d'un geste semblable à celui des femmes voulant plaire ; m'enfin au vu de l'état de son visage, il y a de quoi en douter.
Elle fourra une main calleuse dans son décolleté provoquant (même s'il n'y avait pas assez de chair pour provoquer quoique ce soit) pour en sortir un carré de tissu noir de suie. Le mouchoir fut utilisé dans une tentative futile de rendre son lustre à la boule de cristal lui faisant face, ce qui eut pour seul résultat d'étaler la crasse : on y voyait goutte. Un peu d'eau ne lui aurait d'ailleurs pas fait de mal. Mais Freyja émit un claquement lingual satisfait. Elle posa ensuite sur la table un jeu de tarot troué par les dents pointues de quelque rongeur, à droite de la boule.
Une porte s'ouvrit.
Elle sourit : il était l'heure de commencer son office ! La vieille attrapa par terre une pancarte noire qu'elle suspendit sur le coin de sa table. On pouvait y lire en lettres gothiques roses fushia : VOYANTE.

Croisant les bras, un grand sourire niais et carié plaqué sur le visage ridé, elle attendait son premier client.

A peine avait-il poussé la porte de la taverne qu'Hubert le regrettait déjà. C'était tellement... sale !

Lorsqu'il passa l'entrée, il se retint de sortir un mouchoir pour se frotter les mains. Après tout, mieux valait se mêler aux gens du commun ! Et puis... il avait un but... Ce n'était pas un peu de poussière... de boue... de maladie... de... Non, ces traces-là, il ne voulait pas savoir ce que c'était. Bref, ce n'était pas ça qui le ferait reculer !

Hubert pris une grande inspiration de courage. Puis se demanda pourquoi il n'avait pas fait ça avant d'entrer dans cet endroit puant. Et enfin, il se dirigea vers le bar.

Première épreuve.

- Une infusion de tilleul, commanda-t-il d'un ton ferme.

La réponse tomba immédiatement :

- Y'a pas.

Le barman n'avait pas même relevé la tête, et continuait à frotter ses verres usés avec un tissu troué... et noir par endroit.

- Un thé à la menthe, réessaya Hubert.
- Y'a pas.

Le jeune homme serra les dents.

- De l'eau ? tenta-il en dernier espoir.

Enfin, l'homme releva la tête, observa l'allure d'Hubert, soupira, et lui servit un verre d'une boisson brunâtre et moussue.

De la bière.

Bien que contrarié, Hubert s'obligea à remercier ce malotru, et se dirigea vers ce qui l'avait amené ici. Une voyante. Il renifla légèrement de mépris avant de s'avancer vers elle.

Lui, Hubert du Fond du Puits, aller voir une telle personne... C'était honteux. Dégradant. Mais il n'avait pas le choix... Il réajusta ses vêtements sur ses épaules, conscient qu'il ressortait dans cette population de pouilleux. Un sourire insolent revint se placer sur son visage aristocratique. Puisqu'il devrait de toute façon se purifier en rentrant chez lui, il ne ferait pas demi-tour.

Deuxième épreuve.

Sans un regard pour la voyante, il tira une chaise et s'assit lui aussi devant la boule.

- Je vous écoute, déclara-t-il simplement.

Après tout... Elle était voyante.

" Et pourquoi pas un jus de citron au miel hein", songea-t-elle en écoutant le puceron.

Elle se cura le nez, le temps que l'autre ramène son royal arrière train en face d'elle. Enfin, devant la table. Le Hubert s'assit gauchement, le cul dépassant de plus de moitié de la chaise, à se demander comment il faisait sur son trône.

"Je vous écoute."

La voyante le dévisagea sans nulle gêne, le doigt toujours fourré dans son imposante extrémité faciale. Il ne devait même pas voir ses yeux, cachés sous l'épais rideau de ses sourcils broussailleux qui accentuait son allure rabougrie. Ayant fini sa dure tache, elle éjecta finalement l'intrus nasal qui alla atterrir quelque part - peut-être sur son client m'enfin. Qu'est ce qu'on s'en fichait.

"Dix pièces."

Elle attendit d'être payée avant de porter deux doigts au-dessus de ses sourcils qu'elle souleva.

"Je vous vois"

Après tout... elle était voyante.
Et savait écouter aussi : une rumeur sourde interrompit la joyeuse cacophonie bourrée des mâles en bru.